« Le grand amour de la pieuvre » Marie Berne

Salutations ! Ici Ranne Madsen, pour vous parler littérature.

Plus précisément, pour vous parler de la rentrée littéraire de 2017, et plus précisément encore d’un des romans tout juste sortis : Le grand amour de la pieuvre de Marie Berne.

Commençons par la rentrée littéraire. J’ai pu assister à une des conférences dédiées à cet événement, à la station ausone de Bordeaux. Il s’agissait d’une conférence présentant une éditrice, Héloïse d’Ormesson (à la tête de la maison d’édition du même nom) et deux de ses autrices : Isabelle Alonso, et Virginie Caillé-Bastide.

La conférence était extrêmement intéressante, les deux autrices y ont bien sur présenté leurs romans, mais l’éditrice a pu aussi parler de la rentrée littéraire dans son ensemble, et expliciter l’importance de ce type d’évènement dans la sphère littéraire. En effet, il s’agit d’un moment phare, où les médias, les libraires, et les gens en général lisent plus, et parlent beaucoup plus de livres. Un moment où les maisons d’éditions peuvent aussi lancer de nouveau auteurices. Cette année, sur les 380 romans composant la rentrée littéraire, 80 sont des premiers romans ! Presque un quart de la production de cette rentrée.

Mais toute occasion à son revers. Autant la rentrée littéraire peut être un tremplin pour les nouvellaux auteurices, puisqu’iels ont plus de chance de tomber face à un.e blogeur.se/journaliste/libraire qui pourrait repérer le roman, et en parler, autant ça peut être un moment très cruel, où un roman ne parvient pas à atteindre son public, et sombre dans le flop des ventes, sans que ce soit rattrapable d’aucune manière, et sans que ce soit non plus prévisible. Les maisons d’éditions travaillent sur chaque rentrée pendant plus d’un an, pesant soigneusement chaque livre qui vont être édités à cette occasion, et pourtant, aucune préparation ne peut permettre d’anticiper si le roman va marcher ou pas, la période dans laquelle on est aujourd’hui étant celle où les choses commencent seulement à s’éclaircir. C’est donc un stress fou pour chacun des concernés.

L’oeuvre dont je veux vous parler aujourd’hui s’inscrit donc dans ce contexte, étant un des “premiers romans” de cette rentrée. Il est encore actuellement difficile de dire si le roman fera parti du flop ou du top, mais il a eu la chance de se faire repérer par un des libraires de Mollat, qui nous l’a présenté parmi ses coups de cœur en fin de conférence. En plus, il est assez court (150 pages, écrit assez gros dans une écriture très aérée), et les livres courts en ce moment c’est ma came. Ainsi, sitôt évoqué, sitôt acheté. Sitôt acheté, sitôt lu. Sitôt lu… Sitôt oublié ?

J’ai un avis très mitigé sur ce roman. Il ne m’a pas plu, il ne me marquera pas plus que ça, et je l’aurais probablement relégué au fond de ma mémoire après avoir publié cet article, mais je ne considère pas avoir perdu mon temps durant les quatre heures que m’ont pris la lecture. Cependant mon impression sur le texte n’est pas la raison qui m’a poussé à vous en parler, je vais y revenir rapidement.

D’abord, un rapide tour sur l’autrice. Marie Berne est une ancienne enseignante-chercheuse de littérature et de langue, et travaille désormais dans le monde du thé, du vin et des plantes rares. Durant sa carrière de chercheuse, elle a travaillé en Amérique, en Asie et en Angleterre, et à publier une étude : Éloge de l’Idiotie, qui parles des narrateurs idiots, et de la rhétorique autour de cette façon originale de transmettre une vision, ou un propos. Ainsi, nous avons affaire à une professionnelle de la langue, à quelqu’un qui en connaît les codes et les subtilités. Et autant je trouve stupide de s’attarder trop longuement sur une biographie d’auteur.e, autant il me faut admettre qu’avoir fait ma petite recherche sur Berne m’a permis de mettre le doigt sur ce qui m’a rebuté dans son roman. Je vous demanderais donc de garder ce détail dans un coin de votre tête pour la suite de mon article.

Le roman en lui même est assez intriguant. Il est né à partir de l’oeuvre du cinéaste et biologiste -ayant réellement existé- Jean Painlevé.

Si vous vous posiez la question, le titre de ce roman n’est pas une métaphore ou une image, mais un très bon résumé de son contenu : On va découvrir le point de vue de la pieuvre qui fut la muse de Painlevé, et de son amour (romanisé, et absolument anthropomorphisé) pour Jean. On suit donc cette pieuvre sur le dernier mois de sa vie, une fois abandonnée par Jean, cherchant à se venger d’avoir été maltraitée et utilisée juste pour des films, d’avoir vécu ce qu’elle pensait être une passion éternelle alors qu’il ne s’agissait que d’une forme (très malsaine) de fascination réciproque. La libraire nous avait parlé d’un “OVNI littéraire”, d’un style d’écriture “sublime, enivrant”, et d’une lecture “dont on ne ressort pas indemne”.

Je ne peux pas lui donner tort, mon avis est un peu similaire au sien, il faut juste en retirer la portée positive.

Ce livre à un style d’écriture particulier. Très particulier. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est original et jamais vu. C’est plutôt… Incroyablement littéraire. Le roman est de base construit sur des allers-retours entre le présent de la pieuvres, décomptant le temps de vie qui lui reste alors qu’elle enquête, et des morceaux de son passé partagé avec Painlevé, ce qui rend les choses déjà assez floues, mais la langue contribue à rendre les choses encore plus incompréhensible. L’expression est souvent en phrases alambiquées, parsemée de références littéraire ou culturelle, tout en langage assez soutenu, et dans un style très poétique. Pas le poétique chantant les terribles traumatismes comme on peut en trouver chez Dupin ou chez les auteurices ayant du mal à exprimer autrement des choses aussi dures, mais une poétique à la Mallarmé : inaccessible, nécessitant d’être relue, décortiquée, analysée, pour être compréhensible, un peu comme ce que subit la pieuvre dans le roman, qui se retrouve a subir toutes les tortures possibles juste pour être comprise par Jean.

C’est une poétique qui se veut pure sensation, mais qui se perd dans son propre langage. C’est… Insupportable. Typiquement le genre d’oeuvre qu’on retrouve sur les banc des facultés, expliqués par des profs hautains qui considère qu’il s’agit du chef d’oeuvre du siècle, face à une flopée d’étudiant qui se demande juste ce qu’ils vont faire du bouquin une fois le semestre terminé (et vu l’épaisseur du roman de Berne, je pense qu’il fera un excellent cale-pied).

J’exagère peut être un peu, mais c’est à cause de ces œuvres là que, primo, j’ai quitté la fac, et, deuxio, la littérature à une image aussi chiante. Car peut être que je suis en train de dire moult vilainerie sur ce qui va s’avérer être effectivement le chef d’oeuvre du siècle, mais je suis juste bloquée par un point : J’ai compris ce roman uniquement car j’ai fais des études littéraires. J’avais toutes les clés en main pour accéder à l’histoire. Un néophyte s’y serait juste cassé les dents, et en aurait tiré un dégoût de la littérature. C’est un livre qui est au final symptomatique des éloges d’”experts”, et d’une littérature à deux vitesses. Il y a les livres accessibles aux grand publics, et ces romans compliqués. Et je n’aime pas ce point de vue là. Car toutes les littératures devraient être au même niveau.

Je n’ai pas de leçon ni de solution à donner au final. Il faut juste se rappeler que nous apprécions une oeuvre selon notre sensibilité propre, et nos expériences. Et éviter de pratiquer une forme d’élitisme à deux balles juste parce que vous avez écrit un roman particulièrement soigné, ou parce que vous avez toutes les clés pour comprendre une telle oeuvre ou pour lire du Mallarmé sans que le livre ne vous tombe des mains. Et je regrette qu’une telle oeuvre sorte du crayon d’une ancienne enseignante. Je devine l’art de la chercheuse, il est même évident, mais l’enseignante devrait savoir que pour réussir à transmettre du savoir ou une histoire, il faut la rendre accessible.

Bref, tout ça pour dire, si vous êtes tenté par ce type de roman, foncez, il peut faire votre bonheur, car il demeure assez bon. Et si ça ne vous tente pas du tout, laissez moi vous dire que la rentrée littéraire est loin d’être composée que de roman de ce style, bien au contraire, et qu’il y a dans l’édition de cette année plus d’un livre qui n’attend que d’être lu par vous.

Sur ce, bonne lecture, bonne soirée, prenez soin de vous et faites vous plaisir.
(et ne faites pas de mal aux pieuvres)

Amicalement votre,
Ranne Madsen.