Chapitre 4

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Chapitre 4 –

 Elle attendait. La notion du temps lui avait échappé depuis le temps, mais elle attendait. Assise là, une tasse de café bien chaud dans les mains – probablement sa troisième ou sa quatrième, elle n’avait même pas cherché à compter… -, le manteau de son associé, tachée de sang séché, sur les épaules.

 Lorsqu’il avait perdu connaissance, Jennie s’était dépêché d’appeler un médecin qu’iels connaissaient bien et qui les avaient aidé – et même sauvé – de nombreuses fois : Isaac Gofal. Il avait pu arriver en vitesse, avait administré les premiers soins au jeune homme et, avec l’aide d’une Jen’ peinant garder son sang froid, il l’avait ramené à son cabinet.
 Elle se trouvait maintenant dans la salle d’attente. Au bout du couloir, dans une salle trop peu éclairé, Isaac était là, aidé d’une infirmière de confiance qu’il avait appelé en urgence, l’opérant avec du matériel d’hôpital récupéré ça et là.
 La jeune femme se leva et alla remplir de nouveau sa tasse de café.
 Dans ses pensées régnait un désordre total. Elle s’en voulait de n’avoir pas pu éviter ce qui s’était passé, tout en sachant pertinemment qu’iels auraient pu difficilement le faire. De plus, iels avaient laissé leur empreintes un peu partout, et le type qu’iels devaient assassiner était très probablement toujours en vie et avait dû laisser un croustillant témoignage à leur encontre aux premiers policiers qu’il avait croisé.
“Pas assez sur tes gardes on dirait.”
 Iels s’étaient foirés. Trop confiant, iels n’avaient clairement pas assez assuré leurs arrières. Et elle n’avait pas aidé en restant là, figée sur place, sans pouvoir rien faire pendant que son ami luttait.
 De nouveau, les images de son enfance refaisaient surface, se mélangeant à celle de la soirée. Elle posa sa tasse sur le côté et se prit la tête entre les mains. Ses larmes ne coulaient plus, la source était tarie, mais ses yeux restait rougis et son corps ne voulait interrompre ses tremblements spasmodiques. Elle n’en pouvait plus. Une foule de sentiments ne cessait de l’étreindre, allant d’une tristesse pesante à une angoisse lancinante sans omettre cette colère latente qu’elle ne parvenait à chasser.
 Les portes s’ouvrirent, un homme approchant de la soixantaine sortit de la pièce, en train de retirer une blouse blanche maculé de sang, il semblait soucieux.
 Jennie se leva d’un bond de sa chaise.
 - Alors ?
Il hésita un instant.
 - Il devrait s’en tirer mais…
 - Mais quoi ? fit-elle, la voix tremblante, son angoisse revenant au galop.
Isaac cherchait ses mots.
 - Comment dire… Aucun aucun des organes vitaux n’ont été touché et j’ai pu le prendre en charge au bon moment, plus et… bref. Jennie, il a perdu énormément de sang, à plusieurs moments son coeur s’est même arrêté et j’ai absolument pas de quoi lui faire de transfusion de sang ici…
Voyant le visage de la jeune femme, il s’empressa d’ajouter.
 - Mais rassures toi, pour le moment, son état est stable et il devrait le rester. Ça prendra du temps mais il va guérir.
Elle acquiesça légèrement, et répondit sobrement d’une petite voix.
 - D’accord.
Il laissa planer un silence, avant de reprendre, l’air plus sombre.
 - Par contre je te dois d’être franc Jennie : il y a un risque réduit mais néanmoins présent qu’il ne se réveille pas, ou qu’il se réveille et soit plus ou moins handicapé, et ce de manière probablement permanente.
Sa voix se remit à trembler.
 - J… je vois…
 Le vieux médecin s’approcha d’elle et lui posa amicalement la main sur l’épaule, dans le but de la rassurer.
 - Ne t’en fais pas et ne perds surtout pas espoir, Simon est quelqu’un de résistant, mais comprends que je pouvais pas te garder sous silence les potentiels risques.
 - Ou… oui, c’est mieux en effet.
 Sa voix s’était brisé sur ses derniers mots. Sans hésiter, Isaac la prit dans ses bras, elle ne broncha pas et accepta même, y trouvant un peu du réconfort dont elle avait besoin. Au bout de quelques instants, iels se lâchèrent. Gofal, reprenant la parole, la regardait avec bienveillance.
 - Simon a déjà été aux portes de la mort, et plus d’une fois. Mais là… c’est la première fois que je te vois dans un tel état à cause de ça… Ce n’est pas la seule raison, n’est-ce pas ?
Elle hocha légèrement la tête.

 De nouveau, la porte au fond du couloir s’ouvrit, une femme noire vêtue d’un habit bleu d’infirmière en sorti.
 - Docteur ? J’ai fini de m’occuper de ses perfusions, mais il n’y a pas beaucoup de pochettes dont on besoin pour lui ici. Je peux en ramener de l’hôpital si vous voulez.
Il se tourna vers elle.
 - Merci beaucoup Emily, ça serait en effet une bonne idée, mais vous ne risquez pas d’avoir des soucis ?
Elle eut un sourire quelque peu énigmatique.
 - Ne vous en faites pas pour ça.
 - D’accord. Et désolé de vous avoir fait venir si tardivement.
 - Il y a pas de souci. Par contre maintenant, je vais me changer et rentrer.
 - Entendu, et encore merci. Faites attention à vous sur la route.
 - De rien Docteur, et merci.
 Jennie lui fit un léger signe de tête afin de la remercier, elle lui répondit d’un sourire rassurant et quitta la pièce non sans les saluer une dernière fois au passage.
 Il y eut un instant de silence, que la jeune femme brisa rapidement.
 - Dis… Je peux le voir ?
 Isaac eut un moment d’hésitation, mais finit par accepter et il l’accompagna jusqu’à la porte.
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 Il se réveilla.
 Ce simple fait pourtant banal l’étonna au plus au point, mais lui fit noter un quelque chose de relativement important : il était encore en vie.
 Ses sens semblèrent se réactiver lentement. Il commença par entendre le bip régulier, mais qui lui parut distordu, d’un électrocardioscope, puis à sentir légèrement le lit sur lequel il était allongé, les draps au dessus de son corps, le masque d’un appareil respiratoire couvrant une partie de son visage. Espérant très fort ne pas être à l’hôpital, il ouvrit difficilement les yeux. Sa vision était floue, il ne voyait qu’une masse sombre, quoique vaguement lumineuse sur un côté; probablement une fenêtre.
 Son cerveau s’amusa à lui remonter soudainement les derniers évènements de sa mémoire. Il tenta brusquement de se lever, mais il avait omis un léger détail : une douleur aussi vive que violente au niveau du ventre le rappela à l’ordre, le clouant au fond du lit.
 L’inconscience le happa très vite, trop vite; il chercha à lutter, en vain. Le noir l’engloba intégralement. Simon chuta de nouveau dans les Limbes.
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 Cela faisait maintenant une semaine. Une semaine que c’était arrivé. Une semaine que Simon demeurait inconscient et que Jennie était parvenue à se reprendre. Une semaine qu’elle devait se faire discrète lors de ses sorties entre leur appartement ou le cabinet du Docteur Gofal, tout en recommençant doucement mais sûrement à chercher des informations sur Arthur Dellila ainsi qu’à surveiller méticuleusement le site interne de la police – qu’elle savait hacker et infiltrer sans souci, le temps lui ayant appris – afin de vérifier qu’aucune plainte, aucun avis de recherche les concernant n’eut été déposé. Ce n’était malheureusement pas le cas : une merveilleuse plainte s’affichait sur son écran, accompagné d’un avis de recherche avec une description malheureusement trop proche de la réalité. Tout ce que qu’elle ne souhaitait pas, en somme…
 Voyant ceci, Drist savait pertinemment qu’elle devait éliminer Dellila le plus rapidement et le plus discrètement possible, et fuir dès que Simon se serait réveillé et à peu près en état de bouger.
 Elle soupira et, décalant le PC de ses genoux, attrapa son paquet de cigarettes; iels étaient vraiment dans la merde.
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 Son réveil fut plus rapide cette fois là. Il ouvrit de nouveau les yeux – sa vision demeurait brumeuse bien que plus précise que la fois précédente -, le signal régulier de la machine était toujours présent. Doucement, il entreprit de bouger, tentant de se relever et sans se faire mal cette fois.
 Le jeune homme avait à peine entamé son mouvement qu’il fut plaquer dans le fond de son lit par deux mains. Un hoquet de surprise lui échappa, le bip à côté s’emballa : il commençait à paniquer, cherchant à lutter, lorsqu’il distingua une mèche rouge tomber à côté de son visage.
 - Ne bouge pas.
 Reconnaissant la voix de son associée malgré son ouïe toujours quelque peu altérée, il se rassérèna et se laissa alors faire, elle le relâcha et souffla légèrement.
 - Bon… Simon ? – commença-t-elle du ton le plus calme et rassurant qu’elle put – tu m’entends mon grand ?
 Il hocha faiblement la tête, et tenta de parler. Sa voix était éraillé et quasiment inaudible au travers du masque l’aidant à respirer.
 - Salut Jen’…
 - Hm, attends.
 Délicatement, elle le lui retira puis désactiva le bruit de l’électrocardioscope. Elle s’agenouilla à côté du lit et y posa ses bras.
 - Voilà, ça sera mieux comme ça
Elle soupira en déposant sa tête sur ses bras.
 - Bordel… Me fait plus jamais peur comme ça.
 La jeune femme bougea l’une de ses mains vers la tête de son associé, et commença doucement à lui caresser les cheveux, le rassurant. Il sourit légèrement.
 - Crois moi… c’était pas volontaire.
À son tour, elle esquissa un sourire. Un ange passa, Simon reprit difficilement la parole :
 - Ça fait combien de temps ?
 - Neuf jours.
Il eut un léger soupir.
 - Tu t’en souviens ? demanda-t-elle, un peu d’inquiétude transparaissant dans sa voix.
 Avant de répondre, il se concentra un temps. C’était vague, mais il se remémora un bout de cette soirée et ce qu’il avait ressenti. Lorsque le tir avait retenti, sans même avoir le temps de réaliser ce qu’il se passait, il s’était retrouvé au sol. Comprenant vite qu’il était en danger, il avait attraper du mieux qu’il put la dague se trouvant à sa ceinture, mais il n’avait pas anticipé que sa blessure serait telle qu’il n’arriverai pas à agir.
 Le brun acquiesça d’un léger mouvement de tête.
 - On… est où ?
 Elle fut quelque peu surprise par la question – le jeune homme connaissant pourtant l’endroit -, mais répondit tout de même.
 - Chez Isaac, c’est lui qui t’as sauvé.
 - Pour changer, se moqua-t-il légèrement, avant d’être vite rappeler à l’ordre par sa blessure ce qui la fit rire.
 Depuis 5 ans qu’iels habitaient dans cette ville – et un peu moins qu’iels connaissaient le vieux médecin -, c’était la troisième fois que l’assassin frôlait la mort, et ce pour diverses raisons.
 La fois d’avant, c’était un autre tueur à gage qui avait essayé de les abattre tous les deux par défi. Et il avait presque réussi ! Le problème est qu’il n’avait juste pas prévu le fait que Jennie serait juste derrière lui. Encore avant, c’était une de leur cible qui en se débattant, l’avait poussé sur les voies du Tramway, pile quand ce dernier arrivait. C’était aussi à ce moment qu’iels avaient fait la rencontre d’Isaac Gofal qui passait par là par pur hasard et s’était empressé de venir à son secours, ayant assisté à toute la scène.
 Jennie, elle, n’avait failli décéder qu’une seule fois, même si elle avait été bien amochée à plusieurs reprise. Il fallait dire que, des deux, c’était celle qui restait en arrière, Simon était plutôt du genre à attaquer de face comme de profil, en fonçant presque dans le tas.
 - Bon, il doit avoir finit ses rendez-vous de la journée, je vais le chercher.
 Il hocha faiblement la tête, elle se releva et quitta lentement la pièce, le laissant de nouveau seul avec son esprit désordonné.
 Profitant du fait que son associée se soit absenté, le jeune homme tenta de nouveau de se relever, ce qu’il échoua magistralement. S’étant redressé d’à peine quelque centimètres, il était retombé sur son matelas, non sans laisser apparaître une grimace de douleur au passage.
 « Bordel de merde. » pensa-t-il avec force, ne supportant son incapacité à bouger ou à arranger correctement sa mémoire.
 Il se renfrogna et soupira légèrement. Attendant Jennie et Isaac, il ferma les yeux quelques instants.
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 Il les rouvrit plus d’un quart d’heure après, se réveillant d’un court sommeil. Il lui en fallait vraiment peu pour s’endormir, et le tueur sentait que cela allait gentiment l’agacer.
 Son associée était de nouveau agenouillé à côté du lit, continuant de lui caresser les cheveux presque instinctivement, elle avait pris soin de ne le réveiller. Le Docteur Gofal venait de rentrer dans la petite chambre, et s’approchait rapidement.
 Simon fut le premier à prendre la parole.
 - Salut… lança-t-il, toujours aussi faiblement.
Le médecin sourit, il fallait admettre que c’était déjà bon signe.
 - Bonjour Simon. Alors, comment tu te sens ?
Il réfléchit un temps.
 - Je… sais pas trop… Mal, je suppose.
Son sourire se fana.
 - Hm. Bon.
Il regarda rapidement ses constantes sur l’appareil toujours allumé à côté du lit.
 - Je peux te poser deux trois questions, juste essayer de constater ton état ?
Le jeune homme hocha légèrement la tête.
 - Est-ce que tu sais en quel année est-on ?
 - Tu commences par une question piège, c’est pas du jeu – ria-t-il légèrement – tu sais très bien que je le sais jamais.
 - Justement, on va voir si ton cerveau fonctionne bien et est capable de recalculer.
 - Sale traître.
De nouveau, il prit un instant pour réfléchir, pendant que Jennie calmait son rire.
 - Euh, on est en 551 non ?
 - Exact !
 - Il s’en souvient alors c’est qu’il va vraiment pas bien, se moqua gentiment la jeune femme, faisant rire de nouveau son associé.
 Isaac continua à lui poser des questions, cherchant un maximum à savoir comment se sentait et ce que ressentait Simon. À la fin de l’interrogatoire, les doutes du vieux médecin était balayé, et il constata – avec une certaine pointe de réjouissance – qu’il avait eu raison : le jeune homme guérirait. Cela mettrait du temps, mais il irait bien.
 Le docteur finit par sortir de la pièce, laissant tranquille les deux amis.


Chapitre suivant : à venir…