Chapitre 3

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Chapitre 3 –

 Cela faisait maintenant presque une semaine que les deux tueurs à gage compilaient des renseignements, épiant les faits et gestes de leur cibles, aidés par leurs différents contacts dans la ville. Si tout ceci avait été déjà bien facilité par les informations de Eléonore Gwych – et par son avance d’une somme d’argent clairement non négligeable -, iels avaient maintenant tout en leur possession pour mener à bien leur mission.
 La sonnerie aiguë d’un téléphone portable retentit dans l’appartement. Jennie fut la première à réagir. Elle décrocha vivement, sans oublier de regarder brièvement de qui il s’agissait.
 - Alors ?
 Au travers du combiné qu’elle venait de passer en haut parleur, une voix masculine assez grave, avec un léger accent de ce qui fut l’Europe de l’Est à une époque, se fit entendre.
 - Il a rendez vous après-demain soir à 19h30, un resto chicos pas loin du Centre Ville.
 - Merde, ça facilite pas la tâche… Lieu précis ?
 - 156 rue Sillet ma douce, le resto s’appelle le “Saint Charles”.
Elle rit.
 - Combien de fois dois-je te demander de ne pas m’appeler comme ça ?
 - Autant que tu voudras ma belle, je continuerais.
 - Tu vas finir avec une balle entre les deux yeux oui !
Ce fut à son tour d’éclater d’un rire franc.
 - J’aimerai bien voir ça ! Mais en attendant, n’oublie pas de me payer.
 - Ris tant que tu peux, mais on verra quand ça arrivera – dit elle, ironique, avant de reprendre plus sérieusement – Tu auras ce qu’on te doit, comme d’habitude.
 - Y’a plutôt intérêt. Allez, bonne journée, à toi et ton associé.
Il raccrocha, elle reposa le portable, un sourire amusée sur les lèvres.
 - Le con.
 - “Ma douce”, “ma belle”, il me parle pas comme ça à moi ! s’exclama Simon, faussement jaloux, bien qu’une légère rancoœur dont il ne put identifier l’origine l’étreignit.
 - En attendant, il nous a filé une information très intéressante.
Le plus vieux réfléchit un temps.
 - Clairement, on les bute tous les deux dans deux jours, les emplois du temps concordent parfaitement.
Elle acquiesça.
 - Je prépare mon sniper ? fit la jeune femme, sous entendant un : “on le tue à distance ou plutôt au corps à corps ?”
 - Fais toi plaiz’, répondit son associé, ayant tout à fait compris.
Jennie se dirigea rapidement vers le bureau afin de sortir de sa cachette son fusil de précision adoré.
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 Les routes étaient verglacées mais néanmoins dégagés. Depuis le temps que la neige tombait, les autorités inhérentes à la sécurité de la ville s’était enfin décidé à régler le souci; fait presque rare.
 Ainsi, Drist et Ladd arrivèrent rapidement près du centre ville, pour leur plus grand bonheur – en parti car, il fallait l’avouer, en cas de fuite, une voiture était toujours plus pratique que de courir.
 Iels sortirent de l’habitacle de l’automobile. La plus jeune ouvrit l’une des portes arrière et attrapa un sac relativement lourd. Sans un mot, iels se dirigèrent le plus discrètement possible vers le lieu de leur premier crime.
 Simon était confiant, un discret sourire ne bougeait pas de ses lèvres. Tout était prêt. Il n’ignorait évidemment pas les risques que possédaient leurs missions – après tout, ça faisait parti du métier – mais ceux ci étaient minimes; il ne voyait vraiment pas ce qui pouvait déraper.
 Dans une attitude parfaitement opposé à la sienne, Jennie était totalement angoissée : un mauvais pressentiment ne la quittait pas depuis le début de l’après-midi, y formant un étau qui lui enserrait douloureusement l’estomac.
La voix quelque peu tremblante, elle interpella le jeune homme à mi voix :
 - Simon ?
Il se stoppa. Il avait clairement entendu le vacillement dans sa voix.
 Elle reprit :
 - Je ne la sens vraiment pas cette mission.
Se tournant vers elle, le brun la regarda droit dans les yeux.
 - T’en fais pas, y’a pas de raison que ça dérape.
 - Je sais mais…
 - Ne t’en fais pas Jen’, on va tout faire pour que tout se passe bien.
 Elle esquissa un léger sourire, l’assurance du jeune homme l’aida un peu mais la boule dans son ventre ne souhaitait partir. Iels devaient tout de même réalisé cette mission, d’aussi bonne occasion ne se présenterait sans doute pas avant longtemps. Elle prit une expression plus résolu et déclara calmement.
 - Ouais. On va y arriver, et on va faire ça bien.
 Leurs regards se lâchèrent, et iels repartirent en direction de la future scène de crime.
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 La jeune femme aux cheveux de feu cala correctement son sac dans son dos, et commença à monter sur la façade, crochetant de ses doigts des rebords de fenêtres ou des imperfections dans le mur, ignorant du mieux qu’elle put le froid glaçant ses mains; son escalade ne prit pas plus de deux minutes.
 Une fois sur le toit, elle activa son oreillette.
 - Tu m’entends ?
 - 5 sur 5.
 Regardant en contrebas de l’immeuble, elle le vit s’éloigner. Son regard fut un instant happé par le sol, semblant à la fois si loin et pourtant… si proche. Elle se força à s’éloigner du bord; iels avaient quelques choses à faire.
 - Je vais me caler sur le bon toit, jvais essayer de faire le moins de traces possibles mais ça va être compliqué.
Il soupira.
 - Hm, mais ça devrait le faire, fait juste en sorte que les traces de tes chaussures soit pas reconnaissable, la flicaille peut nous retrouver rien qu’avec ça.
 - Je sais. Je te recontacte dès que je suis en place.
 - Ok.
 Le brun se dépêcha d’aller à l’endroit prévu. Moins de cinq minutes après l’avoir quittée, il fut recontacté par sa complice.
 - Jsuis en place, mon snip’ est bien planté dans la neige, je l’attends.
 - D’accord, j’y arrive bientôt.
 Iels avaient méticuleusement pris soin de faire du repérage sur les lieux quelques jours avant, Ladd savait donc exactement où il devait se placer afin d’être le plus invisible tout en ayant paradoxalement un maximum de visibilité sur les lieux environnants.
 Arrivant à son emplacement, il se hissa rapidement au premier étage d’un immeuble, passant par une fenêtre cassée. Il sortit rapidement son revolver, y installa son silencieux et ralluma son oreillette.
 - Je suis prêt, il n’y a plus qu’à l’attendre.
 - J’espère que ça va pas prendre trop de temps, il fait putain de froid…
 Comme si iels furent entendu quelque part, une silhouette ne tarda pas à faire son apparition à l’angle d’une rue.
 C’était leur homme. Et celui-ci marchait assez rapidement.
 - Il arrive, informa le tueur à son associée tout retirant la sécurité de son Smith&Wesson, juste au cas où.
 Perché sur son toit d’immeuble, Drist attendait patiemment – le doigt sur la gâchette, son oeil gauche au niveau de la lunette – que l’objet de leur contrat arrive.
 Et celui ci ne tarda pas.
 La jeune femme respira profondément et tenta de contrôler du mieux qu’elle put les tremblement de ses mains excitées par le froid et l’adrénaline.
 Léon Pascal apparut vite dans son viseur, elle raffermit alors sa prise sur son sniper.
 Concentrée, sa respiration était presque à l’arrêt.
 Elle tira
 Le bruit du tir retentit dans les rues désertes.
 Un sifflement admiratif se fit entendre dans l’oreillette de la tueuse.
 - Joli !
Elle sourit, flattée.
 - Merci ! Je descend en vitesse et on se retrouve à l’angle, comme prévu.
 Il acquiesça et coupa de nouveau la transmission
 Prenant soin de ne pas regarder l’homme qu’elle venait d’abattre, Jennie rangea en vitesse son fusil et rechercha l’endroit qu’iels avaient repérés pour la descente. Elle le trouva rapidement et entama sa désescalade, manquant par deux fois de tomber à cause du gel.
 Le jeune homme sortit de l’habitation à l’abandon par la même fenêtre qui lui avait permit d’entrer. Il s’accrocha au rebord de fenêtre, sauta, et atterrit souplement au sol, se remémorant dans le même temps une énième fois leur discussion la veille, à propos de leur plan d’action…
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 Cet soirée là, les deux étaient alors dans leur appartement, finissant leur préparatif.
 - Vaudra mieux éviter de s’approcher, à part mettre nos empreintes partout on va pas faire grand chose.
 - Pour le coup on est d’accord, dit-elle blasée, avant de reprendre plus bas et plus énervé, la neige c’est vraiment d’la merde.
 - Hm, mais passons. Il faudra ensuite qu’on aille dans la ruelle parallèle à la rue Sillet, pour le chopper quand il ira au restau demain.
Pointant du doigt un endroit précis de la carte déroulé sur leur table, il continua :
 - Celle-ci me paraît être la meilleure.
 - Hm… En effet.
Un question lui traversa soudainement l’esprit.
 - Et si il est accompagné ?
 - Soit on attends qu’il s’isole, mais si c’est trop long, ou même si on se fait repérer d’ailleurs, on les bute tous.
Un sourire presque cruel apparut sur ses lèvres.
 - J’aime ce plan.
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 Tout se passait pour le moment comme prévu. Les deux associés s’approchaient doucement mais surement du lieu de leur prochain crime.
 La neige se remettait à tomber, bloquant en partie leur champ de vision. C’était malheureusement assez prévisible et cela risquait fortement de les gêner.
 Iels arrivèrent à une intersection. Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, le plus vieux courut vers la ruelle en face, suivit de près par la jeune femme.
 Encore une, même opération. La neige continuait de tomber, plus épaisse. Les rues étaient étrangement vides.
 - C’est un peu stressant.
 - Ouais, mais on y est presque, courage.
Elle acquiesça.
 Une nouvelle intersection.
 Il s’élança.
 Coup de feu.
 Gerbe de sang.
 Simon s’effondra.
 Jennie retint un cri, les yeux écarquillés, les mains sur la bouche, regardant la neige déjà en train de se teinter de rouge sous le corps de son associé, pendant que les flocons continuaient toujours de tomber plus drus. Les larmes lui montèrent aux yeux, ses jambes ne la portaient plus, elle tomba à genou au sol.
 Des images qu’elle prenait soin de refouler depuis des années revinrent en flash, la paralysant entièrement…
 Un homme assez grand au cheveux grisonnant s’approcha de Simon, une arme en main, tremblant, non pas de froid mais de peur. Il se pencha au dessus de lui.
 Ce dernier se retourna brutalement et tenta de lui planter sa dague n’importe où il le pouvait, essayant vainement d’ignorer le déferlement de douleur dans tout son corps. Trop faible, il parvint tout juste à atteindre la joue, lui créant une légère entaille qui se mit aussitôt à saigner. Dellila l’immobilisa de suite, lui tenant les mains, mais, voyant que son adversaire tentait de se débattre, il appuya l’un de ses genoux sur son ventre, le jeune homme ne put retenir un cri de douleur.
 - Alors c’est donc toi que cette chère Gwych a envoyé pour me buter. Pas assez sur tes gardes on dirait.
 Le tueur à gage réfléchissait à toute vitesse, profitant de ses derniers instants de lucidité, tout en continuant ses tentatives désespérées d’ignorer les nouvelles vagues de douleur partant de son abdomen et se répandant dans le reste de son corps. Il ouvrit la bouche d’où s’échappait un mince filet de sang, et, dans un souffle, d’une voix rauque.
 - Jennie !
 L’homme n’en tint pas compte – n’ayant pas remarqué Jennie, il pensait qu’il délirait -, il se releva rapidement et pointa instantanément le canon de son colt sur sa tête.
 - Désolé, c’est pas contre toi, mais je tiens à ma vie.
 Un léger sourire pointa, il essaya de parler fort, mais rien de mieux qu’un râle sortit d’entre ses lèvres.
 - Moi aussi.
 - Dommage pour toi.
 Simon le regardait droit dans les yeux, affrontant au travers de cet homme cette mort qui le chassait depuis si longtemps. Enfin, elle était face à lui. Il était prêt. Même si il n’avait qu’un regret.
 Le quarantenaire commença à appuyer sur la gâchette.
 Un tir retentit.
 Son arme vola en morceau, lui explosant en parti la main au passage.
 A sa droite, Jennie tenait fermement son Baretta du bout des bras, visant du mieux qu’elle pouvait malgré les larmes embrumant sa vue et cette satané neige qui ne cessait de tomber.
 Se reprenant de sa surprise, l’homme se mit à courir dans la direction opposé. Elle tira de nouveau, le toucha à l’épaule, il manqua de s’effondrer mais continua sa course tant bien que mal. Un nouveau tir, elle le rata cette fois, il tourna à la première intersection.
 Sans plus d’hésitation, elle se jeta sur son équipier, s’agenouillant à côté de lui.
 - Eh Simon, tu m’entends ?
 Elle évalua du mieux qu’elle put la blessure de son associé, contrôlant maintenant à peu près ses émotions, aidé par l’adrénaline et la peur de voir mourir son… ami.
 La balle ne l’avait pas traversé, mais s’était contenté de s’installer, déchirant une partie de sa peau et – très probablement – de ses organes au passage. Et il n’avait vraiment pas arrangé sa situation en tentant de se défendre.
 Il eut un sourire.
 - Beau tir…
 - Chut, économise tes forces, et reste en vie.
Elle attrapa son portable d’une main, cherchant, en tremblant, un numéro précis.
 - Eh, Jen’…
 - Tu vas survivre, ok ? Je te le jure.
 - Trop… tard…
 La jeune femme se stoppa, elle se pencha au dessus de lui et glissa délicatement sa main libre dans le creux de son cou.
 - Tu vas survivre.
 Sa voix était pleine d’assurance, contrastant avec les sanglots l’agitant toujours.
 Le jeune homme ne sentait presque plus rien : le froid avait disparu, sa douleur avec, il ne parvenait plus à bouger la moindre parcelle de son corps. Réunissant ses dernières forces, il réussit à murmurer :
 - Tu sais Jen’… J’crois que… je t’apprécie en fait…
 - Moi aussi Simon, moi aussi, alors pour ça : tiens bon !
 Son regret maintenant n’était plus.
 Il aperçut une dernière fois son associée, entourée par l’ombre des immeubles et de la neige qui tombait toujours. Sa vue se troubla, suivit rapidement par le reste de ses autres sens.
 Ses yeux se fermèrent.
 Le noir l’envahit.


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