Chapitre 1

Chapitre 1 –

 - J’en ai marre, tue-moi s’il te plaît, lança une jeune femme, déterminée
 - Ah d’accord, comme ça, brutal ! s’étonna-t-il tout en sortant pourtant avec plaisir une arme de l’une des poches de sa veste.
 Il se rapprocha doucement d’elle avec sa démarche féline habituelle, armant dans le même temps le chien de son revolver.
 - Si tu pouvais juste faire en sorte que je ne souffre pas trop, ça m’arrangerait pas mal…
 Il sourit et colla le canon contre sa tempe entre deux de ses mèches rouges. Il resta un long moment ainsi, à la fixer de son regard froid, arme bien en main. Son sourire ne quittait ses lèvres, pendant qu’elle commençait doucement à sentir une boule d’angoisse s’installer dans son estomac. Pas très agréable.
 Elle eut un rire nerveux :
 - Tu peux pas faire ça rapidement toi !
 - J’aime prendre mon temps, tu le sais – répliqua-t-il, toujours le sourire aux lèvres, avant de lui demander – Des dernières paroles ?
 - Euh, je ne sais pas… “Good bye cruel world” ?
 - Pff, classique ! Allez, essaie autre chose.
 - Dis à mes parents que je les aime ! tenta-t-elle, sarcastique.
 - Je vais pas leur mentir quand même – lui répondit-il sur le même ton, avant de rajouter à lui même – surtout que t’en as plus…
La remarque lui provoqua un nouveau rire nerveux.
 - Bon. Je sais pas, alors rien à dire. Tues-moi qu’on en finisse !
La jeune femme commençait clairement à s’impatienter et en venait presque à regretter sa demande.
 - Je suis déçu, tu aurais peut-être pu travailler un peu plus ta punchline, dit-il en faisant la moue. Elle tourna alors vivement la tête, braquant sur lui un regard noir.
 - Fais-le vite qu’on en finisse bordel !
 - Quitte à ce que tu crèves, autant bien le faire, non ?
 - Flemme. Butes-moi.
 Il resta un instant sans rien dire, avant d’écarter son arme du visage de son associée et de commencer à s’éloigner. D’abord étonnée, elle se reprit pourtant rapidement, et, dans le but de le provoquer, lui lança d’un ton méprisant :
 - Je le savais, t’as pas les couilles de le faire !
 - Mes testicules n’ont rien à voir avec ça, alors laisse les en dehors de ça s’il te plaît, répondit-il calmement en s’approchant de la porte.
 - T’es qu’un lâche ! Tu parles, tu tue de sang froid, tu fais le fier, mais dès qu’il s’agit de tes proches, tu en es incapable. Connard !
 Il finit par perdre son fameux sang froid – piquer à vif par ces propos -, et lui lança :
 - Tu sais quoi ? Démerde-toi ! Tu te plains d’être un boulet, alors sois-le jusqu’au bout et bâcle ta mort !
 Il lui jeta le revolver sur les genoux, et claqua la porte.
 Elle resta là un moment, interdite, tenant l’arme du tueur à gage entre ses mains. Tremblante, elle le mit sur sa tempe et inspira un grand coup.

 Au travers du mur, le jeune homme entendit un coup de feu, puis… le silence.
 Il se stoppa net. L’aurait-elle finalement fait ? L’idiote ! Fallait dire qu’elle semblait réellement motivée à en finir… Il fit demi tour en vitesse, appréhendant ce qu’il allait trouver en ouvrant la porte.
 La main sur la poignée, prêt à entrer, il entendit soudainement un cri, suivi d’un bruit mat contre la paroi du mur.
 - Bordel !
 La tension qui s’était rapidement accumulée sans qu’il ne s’en rende compte se relâcha d’un coup. Il avait donc eu peur pour elle. Lui ? Le tueur sans pitié pouvait avoir… des émotions ? Envers elle ! Damn. Il Espérait intérieurement qu’elle n’en sache jamais rien…
 Il n’eut le temps d’esquisser un nouveau mouvement qu’elle sortit en trombe de la pièce. Toujours tremblante, elle lui tendit le revolver.
– Reprends-le !
 Et elle se précipita vers la sortie de l’appartement.

____________

 Elle souffla, la fumée de sa cigarette sortant d’entre ses lèvres se mélangea à la condensation du froid et à la légère brume. L’hiver était maintenant installé depuis un bon mois, et elle avait eu la merveilleuse idée d’oublier sa veste dans l’appartement.
 - Stupide jusqu’au bout. se dit-elle, avant de porter une nouvelle fois sa clope à la bouche, tentant vainement de se réchauffer.
 Quelqu’un sortit de l’immeuble miteux qui se trouvait derrière elle. La jeune femme ne se retourna même pas : elle savait de qui il s’agissait.
 - Qu’est-ce que tu veux ? lança-t-elle, agressive.
 - Tiens.
 Elle sentit quelque chose tomber sur ses épaules. Elle l’attrapa rapidement et… put constater qu’il s’agissait de sa veste à elle. Le con. Elle l’enfila tout de même rapidement puis tendit son paquet de tabac au brun.
 - Merci. lui dit-il alors qu’il attrapait machinalement l’une des cigarettes. Et, tout en l’allumant, il s’installa à côté d’elle.
 Iels restèrent ainsi longtemps, assis sur les marches de l’immeuble, sans réellement oser décrocher un mot.
 - Eh, Jen’… commença-t-il, s’efforçant de cacher son inquiétude du mieux qu’il put.
 - Qu’est-ce qu’il y a ?! répondit-elle, toujours aussi haineuse.
 Il soupira, et préféra se raviser.
 - Nan, rien.
 Et iels continuèrent à fumer, assis l’un à côté de l’autre, sans rien dire.
 Elle avait le regard dans le vague, le visage tourné vers les hauts immeubles de la métropole, visible juste en face d’eux. Quant à lui, il était occupé à la fixer elle.
 Il l’observait. Ses yeux détaillait une énième fois le corps de la jeune femme, glissant de sa chevelure rouge bordeau, vers son visage légèrement arrondi, en partie caché par une mèche. Il devina, plus qu’il ne la voyait réellement au travers de ses cheveux, la cicatrice allant de son arcade sourcilière jusqu’au haut de sa joue, passant bien trop près de son oeil. Oeil qui lui sembla d’ailleurs plus rouge qu’à l’accoutumée, augmentant encore son inquiétude d’un cran.
 Il se souvint du jour où elle avait hérité de cette cicatrice. Un contrat foireux. Un type qu’iels devaient tuer, et qui semblait un peu trop au courant de tout. Ce dernier avait totalement anticipé l’attaque de Jen’ et avait failli la tuer. Resté en arrière afin de la couvrir, le jeune homme était intervenu et avait alors abattu l’homme pile à temps. Elle avait vu la mort d’un peu trop près, et en avait d’ailleurs perdu une partie de sa vision.
 Il renfouit ce souvenir au fond de sa mémoire, continuant à l’observer. Sa peau pâle, son nez légèrement crochu, ses lèvres naturellement carmins, ses…
 Elle se leva soudainement, interrompant les pensées de son associé sans le savoir. Regardant tranquillement les alentours du haut de son mètre soixante-huit, elle s’étira avant d’écraser du pied sa cigarette désormais entièrement consumée.
 - Je vais me promener un peu.
 - Hm… Ok.
 Il allait s’arrêter là, et la laisser partir sans rien dire, mais il ne put s’empêcher de rajouter, de manière quelque peu incontrôlée : « Fais attention à toi »
 Elle eut un léger sourire.
 - T’en fais pas mec, fit-elle en s’éloignant.
 Il attendit qu’elle disparaisse au coin de la rue, et jeta son mégot au sol avant de rentrer dans leur appartement.

 « Et beinh, mon pauvre Simon, tu t’attaches trop à elle si tu veux mon avis ! » se lança-t-il tout en envoyant nonchalamment son manteau sur le dossier du vieux canapé, présent au milieu du taudis leur servant d’habitation, avant de s’écraser – plus que de s’asseoir véritablement – sur ce même canapé.
 Jennie Drist. Cela faisait… environ une éternité qu’iels se connaissaient. En fait, d’autant qu’il se souvienne, il n’était qu’un gosse d’à peine dix-sept ans lorsqu’il l’avait rencontré la première fois, elle, n’avait pas plus de quatorze ans à l’époque. À la base, iels avaient été engagés tous les deux par un salopard de première – un certain Conrad – qui leur filait des missions toutes plus sordides les unes que les autres, réalisées contre quelques pièces à peine, et seulement lorsqu’il était dans ses bons jours.
 Iels avait fini par le buter, aidés par les autres enfants que le type avait engagé. Iels ayant souvent eu l’occasion de travailler ensemble – formant un duo qui marchait très bien – avaient donc décidé, sur un coup de tête, de s’associer. Et, depuis le temps, les deux désormais jeunes adultes avaient acquis une certaine réputation, n’échouant que très rarement leurs contrats. Ce n’était pas les plus connus dans le milieu, loin de là même, mais, en leur bonne dizaine d’années de collaboration, et six ans de vie au même endroit, iels avaient acquis leur clientèle, et pouvaient vivre de manière relativement convenable… tant qu’iels avait au moins un contrat par moi… ce qui n’étais pas forcément le cas…
 Et malgré cela, cette vie allait totalement à Simon. Elle lui plaisait presque à vrai dire. Détaché de toute émotion, ce métier de tueur à gage était pour lui pareil à tout autre travail, jugé plus… correct, par la société. Le jeune homme pensait que c’était aussi le cas pour son associée mais, plus le temps passait, et moins elle semblait bien le vivre. Même si il se doutait bien qu’il n’y avait pas que ça…
 Il soupira, presque blasé : détaché de toute émotion hein ? Un léger rictus nerveux le secoua. Il s’était imperceptiblement accroché à elle au fil des années. Et ce, qu’il le veuille ou non. Sans compter qu…
 La vibration continue d’un téléphone l’interrompit – pour la seconde fois de la journée – dans le fil de ses pensées. Il releva la tête et avisa l’objet de cette interruption. Il s’agissait du portable uniquement réservé aux contacts du milieu et autres tout aussi utile; surprotégé par toute sorte de programmes informatiques, bien évidemment
 En effet, même si les deux faisaient mine de vivre de leur métier sans risque – effaçant toujours méticuleusement leurs traces à chacune de leur mission -, iels ne prenaient pour autant pas ça à la légère. Les tueurs à gage risquaient à tout moment de se faire prendre, alors, autant ne pas faire couler tout le monde au passage, en offrant les numéros de tous à portée des flics.
 Le brun se releva brutalement. Une mèche bouclée tomba devant l’un de ses yeux. Il l’ignora royalement et attrapa le portable qui trônait sur la table basse, entre les bouteilles de bière vides, les paquets de cigarettes quasiment finis et les cartons de pizza à moitié éventrés.
 Apercevant sur l’écran le nom de l’interlocuteur, il décrocha sans hésitation.
 - Madame Gwych ! Que puis-je faire pour vous ?
Une voix doucereuse, mais néanmoins ferme, sortie du combiné.
 - Mon cher Ladd, j’ai besoin de vos services, à vous et Drist.
Il sourit.
 - Rendez-vous quand ?
 - Demain, 21h, la ruelle derrière le bar Daniel’s, dans le 13ème.
 - Très bien, nous y serons.
Elle raccrocha sans dire un mot de plus.
 Il regarda l’heure et reposa son vieux téléphone sur la table de salon. Puis, il se réinstalla confortablement au fond du canapé.
 Un nouveau contrat en approche. De la part d’un de leur clients récurrents : Madame Eléonore Gwych. Une richarde à la tête d’une société d’engins informatiques et électroniques en tout genre – bien que plus spécialisée dans les Intelligences Artificielles et les droïdes – qui avait, il fallait l’avouer, une certaine place dans l’économie du pays. Elle avait souvent recours à leurs services afin d’écarter les éventuels gêneurs et autre concurrents. Et ce toujours en échange d’une bonne prime.
 Simon sourit, attrapant son portable personnel coincé dans une poche de son jean, il songea qu’iels vivraient leurs prochains mois sans problème.

____________

 Elle marchait dans ce quartier qu’elle ne connaissait que trop bien. Le ciel était gris, les rues quasi désertes. Elle avait froid mais parvenait à l’ignorer. Plongée dans ses pensées, elle faisait à peine attention à ce qui se trouvait aux alentours.
 Jen’ était énervée : plus le temps passait et moins elle supportait sa vie, tuer tout ces gens, souvent innocents, son passé toujours présent, ancré en elle – un navire bloqué par un récif -, alors… Pourquoi son abruti d’associé ne l’avait pas abattu ? Il faisait ça presque tous les jours ! Alors… pourquoi pas elle ?
 Peut-être tenait-il à elle ?
 La jeune femme rit à ces pensées. Impossible. Elle l’appréciait, c’est sur. Et tout deux avait un passé commun, et une route identique. Mais lui, face à elle comme devant d’autre, restait toujours très cynique. Les seuls émotions qu’il exprimait était la colère ou la joie – principalement lorsqu’il recevait un nouveau contrat joint à un bon salaire – rien d’autre, jamais. Sauf… Une seule et unique fois : Simon était revenu à l’appartement après avoir disparu plus d’une semaine, dévasté. Il avait tout simplement fondu en larmes à peine le seuil de la porte franchi. Presque aucun mot ne s’était échangé ce soir là, iels étaient juste restés là : elle à le serrer dans ses bras, cherchant à l’apaiser, lui à pleurer, profitant du réconfort que lui apportait son associée.
 Elle n’avait jamais su ce qu’il lui été arrivé.

 Drist s’arrêta et s’assit sur l’un des quais du canal qui séparait le quartier où elle vivait et le reste de la ville.
 Si iels faisaient mine de bien vivre alors que leur boulot particulier les laisser fauché un moins sur deux, ce n’en n’était pourtant pas la cause. Elle contredisait ses précédentes pensées, mais en réfléchissant elle se rendit compte que oui, ça avait tendance à jouer sur ses nerfs certes, mais non, ce n’en était pas pour autant la cause : elle parvenait à rester suffisamment détachée de cela pour que ça ne la consume pas entièrement.
 Non ! Il y avait tout un tas de raison, entre autres cette ville grise et terne, les nouvelles toujours aussi déprimantes, cette guerre spatiale bien trop proche de la Terre qui n’en finissait pas… Pas de quoi être très jouasse.
 La saison jouait aussi, depuis sa plus tendre enfance l’hiver était une source de sentiments peu agréables, un traumatisme lié à son passé qu’elle peinait à refouler, surtout durant cette période…
 Elle secoua la tête, serrant les poings, afin de refaire sortir tout ceci de son esprit. Tentant de se changer les idées, Jennie se mit alors à observer l’eau qui coulait rapidement sous ses pieds; courant, renversant, submergeant toutes choses présentes à sa surface, presque… attirante.

 Son téléphone sonna soudainement, la tirant de sa contemplation. Elle décrocha sans même regarder le numéro.
 - Allo ?
 - Ouais, c’est Simon, nouveau contrat en approche. De Gwych.
 C’est bien la dernière chose qu’elle voulait entendre. Un contrat. De cette femme. Elle allait encore leur donner un type surprotégé par des gardes armés jusqu’aux dents à éliminer le plus discrètement possible.
 Jen’ soupira.
 - Génial…
 - Et je crève la dalle, en rentrant, tu crois que tu pourras passer au Hell’s Dinner nous chercher de quoi bouffer ?
Elle leva les yeux au ciel, son ventre d’associé lui demandait encore de lui payer à manger.
 - Je devrais… (elle vérifia que son portefeuille était bien dans la poche de sa veste, et non bêtement resté à l’appartement, puis, ceci confirmé, elle reprit : ) Ouep, sans problème.
 - Super, merci.
 Son associé raccrocha, elle rangea son téléphone et se releva afin de s’éloigner, presque à regret, du bord du canal.

____________

 Le claquement sec de la porte d’entrée résonna dans l’appartement. La voix de Jennie retentit à sa suite, d’un ton joyeusement forcé.
 - Eh Simon ! J’t’ai acheté ton burger favoris, tu me doit cinq roubles de plus ! »
Le concerné se releva du canapé, celui-là même où il était resté avachi toute la fin de journée.
 - Oh ! Ça change pas grand chose rapport à ce que je te dois déjà.
Elle rit, mais cette fois-ci, ce fut naturel.
 - Ah ça, c’est sûr ! Tu comptes me rembourser tout ça quand ?
 - Quand la guerre contre les Hjéwesiens sera fini ! lui répliqua-t-il, ironique.
 - Ouais bah autant dire jamais.
 À ces mots, Jennie posa le sac de nourriture sur la table basse, renversant l’une des bouteilles vides au passage. Elle haussa les épaules et ne prit même pas la peine de la ramasser, préférant sortir son plat de pâtes habituel et commencer à le manger. Son associé fit de même. Durant tout le repas, aucun des deux ne parlèrent. Ce ne fut qu’au bout d’un long moment que la plus jeune brisa le silence ; hésitante, elle lui dit d’un ton qu’elle voulait faire le plus neutre et calme possible :
 - Dis… Elle t’as parlé du contrat ?
Le brun remarqua son malaise; il répondit tranquillement.
 - Non, rien, elle m’a juste donné un rendez vous : demain, 21h.
 - Où ? lui demanda-t-elle, inquiète.
 - L’endroit habituel.
 - D’accord.
 Une vague de stress la traversa, logeant dans son estomac une boule d’angoisse assez incommodante.
 - Aucun indice ?
Il secoua légèrement la tête.
 - Que dalle.
La jeune femme soupira, et le repas se finit dans le silence.
 Simon reposa sur la table de salon la boîte qui avait contenu son hamburger. Tout en se réinstallant dans le fond de la banquette abîmée, il lui dit, de manière quelque peu maladroite :
 - Eh, t’en fais pas pour ce contrat. Je suis sûr que ça va se passer sans accroc, comme d’habitude. Tu…
Elle soupira, lui coupant la parole.
 - Y’a pas que ça Simon, et tu le sais très bien…
Il chercha une réponse, mais il n’eut le temps de la formuler.
 - Je vais me coucher, besoin de dormir un peu.
 Elle se leva, achevant de manière impromptue la conversation, et traversa le salon dans un nouveau silence, semblant aussi lourd que du plomb au jeune homme tandis qu’il offrait parallèlement un certain apaisement pour la tueuse.
 Elle allait rentrer dans sa chambre, lorsqu’il lui lança un simple mais sincère.
 - Bonne nuit Jen’, dors bien.
 - Merci. Toi aussi.
La porte se referma, laissant le jeune homme seul, face à lui même.


Chapitre suivant >